Cette dernière ne pèse que 600 grammes et vaut… 8.000 euros. C’est trois fois plus que le caviar noir, déjà considéré comme un produit de luxe.
Stefan Astner inspecte en cuissardes au pied d’un magnifique décor alpin des esturgeons albinos rarissimes, dont le caviar au coût astronomique est expédié dans le monde entier pour le réveillon de la Saint-Sylvestre.
« Les poissons sont déjà passés à l’échographie pour qu’on voit s’ils sont pleins et ils entreront en phase de production bientôt », explique bonnet vissé sur la tête cet employé.
Il travaille à Grödig, un village situé près de Salzbourg, en Autriche, où grandissent en pisciculture des femelles aux œufs qui valent de l’or.
A l’atelier, le patron Walter Grüll incise délicatement la chair de l’une d’entre elles, âgée de 16 ans, pour en extraire un caviar à la couleur crème surprenante.
« Il est encore plus doux, encore plus fondant que celui qui est traditionnellement noir », dit-il en lavant sa récolte.
Cette dernière ne pèse que 600 grammes et vaut… 8.000 euros. C’est trois fois plus que le caviar noir, déjà considéré comme un produit de luxe.
« Ces œufs sont parmi les aliments les onéreux au monde. Ils représentent seulement 1% de notre production totale de caviar », énonce Walter Grüll.
Argenterie
Dans une pièce à côté, sa fille Alexandra prépare une quarantaine de colis réfrigérés. « Ca part pour l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne », détaille-t-elle, le nez sur les bons de commande.
La crise du coronavirus a certes eu un effet sur la demande: les tables étoilées attendent des jours meilleurs, les palaces sont fermés.
Mais la vente au détail explose. Quitte à rester chez soi, autant ressortir l’argenterie et les mets qui vont avec…
« Les gens veulent savourer l’instant présent », lance l’éleveur en répondant aux incessants coups de fil qui ponctuent ses journées. Les fêtes de fin d’année représentent près de 40% de son chiffre d’affaires annuel.
Les noms des clients ne seront pas révélés, la discrétion est gage de succès dans ce secteur. Beaucoup d’entre eux se situent en Asie, en Russie et au Moyen-Orient.
Une célèbre marque de voitures haut de gamme vient d’appeler et récemment, la maison a reçu la proposition d’une compagnie aérienne désirant offrir à ses clients premium du caviar « Made in Austria ».
Walter Grüll, qui a humblement démarré en 1981 avec l’omble et la truite, a voulu se démarquer de l’offre mondiale en faisant se reproduire en captivité ces esturgeons immaculés, caractérisés par une absence totale de pigmentation.
Il dispose désormais de plusieurs centaines de poissons protégés par des caméras et des grilles cadenassées dans un parc arboré proche du château de Hellbrunn, un joyau Renaissance. Car cette précieuse denrée attire les convoitises: plusieurs vols ont eu lieu ces dernières années dans d’autres exploitations.
La qualité de leurs œufs, eux aussi sans mélanine, doit beaucoup aux bassins cristallins dans lesquels ils évoluent. La pureté de l’eau venue des cimes convient par exemple à merveille à l’esturgeon du Danube, l’un des plus petits de l’espèce.
Du temps des dinosaures
Cette démarche « d’exotisme du terroir » s’inscrit dans l’air du temps, les changements climatiques incitant des consommateurs plus regardants à rapprocher les produits de leur assiette.
Plus largement, l’élevage d’esturgeon noir ou blanc, qui s’est développé depuis un quart de siècle principalement en Chine, en Italie et en France à la suite de l’interdiction de la pêche, s’inscrit également dans une volonté de conservation.
Cette espèce pouvant vivre jusqu’à 120 ans, présente sur terre au temps des dinosaures, est au bord de l’extinction dans son milieu naturel en Russie ou en Iran.
La production mondiale issue de l’esturgeon sauvage s’est effondrée dans les années 1980, en raison de la surpêche et de la pollution.
Selon les dernières statistiques disponibles de la World Sturgeon Conservation Society en date de 2018, 2.480 fermes dans 55 pays produisent 415 tonnes de caviar par an.
Seuls 30 à 40 d’entre elles, dont deux ou trois en Autriche, en proposent du blanc, estime l’universitaire Thomas Friedrich, qui coordonne à Vienne un programme de renforcement des populations d’esturgeon du Danube.
Quand par miracle un albinos arrivait à l’âge adulte à l’état sauvage et finissait pêché en mer Caspienne, raconte-t-il, ses œufs blancs étaient réservés exclusivement au Shah d’Iran.
Source ETX studio/AFP – Photo © Joe Klamar / AFP.