Ma dernière expérience partagée avec une sélection de confrères lors des quelques jours passés à Tours pour la cérémonie du Guide MICHELIN 2024 fut la rencontre avec la fille du grand chef aujourd’hui disparu, Charles Barrier, et la visite de son ancien restaurant. 2024 marque les 80 ans de l’ouverture du restaurant de Charles Barrier au 101, avenue de la Tranchée à Tours.
80 ans plus tard, son épouse Nicole Barrier souhaite rendre hommage au chef disparu en 2009. Un homme au parcours aussi remarquable qu’inspirant : celui d’un garçon né sans-le-sou en 1916, devenu, à force de volonté et de travail, Meilleur Ouvrier de France.
Depuis août 2023, le restaurant où Charles Barrier a œuvré pendant près d’un demi-siècle, se découvre autrement. Sa fille Catherine ouvre et partage désormais les archives familiales. Celles d’un lieu chargé d’histoire, qui reste le seul établissement de la région Centre-Val de Loire à avoir été triplement étoilé au guide MICHELIN.
Charles Barrier, le passionné
Chef-cuisinier au parcours singulier, on lui doit les origines de « La Nouvelle Cuisine ».
Précis, méticuleux, exigeant, il n’accordait d’importance qu’au produit et à la rigueur.
Charles Barrier a ainsi fait entrer la gastronomie française dans la modernité, sans la renier, ni la dénaturer. Un chef en avance sur son temps, à la pointe de l’ultra-local et du circuit court, qui fut le premier à faire son propre pain, à fumer le saumon ou à cuire le foie gras.
En 1958, Charles Barrier gagne, dès sa première participation, le concours de Meilleur Ouvrier de France.Le hasard a voulu que je sois le premier concurrent à réussir le concours du premier coup !
« C’est ma plus grande fierté et peut-être la seule chose qui me semble dénuée de vanité ».
Sa notoriété grandit et son restaurant obtient une deuxième étoile au guide MICHELIN en1960, puis une troisième en 1968. Époque à laquelle il rebaptise le restaurant « Charles Barrier ». Une adresse connue aussi bien pour ses quenelles de brochet que pour sa dodine de caneton au Porto. Charles Barrier, propose à ses clients des recettes où le mot d’ordre est de ne laisser que l’essentiel du goût et du produit dans l’assiette.
« Si vous interrogiez Louis Armand, André Malraux, Paul Panhard, Danièle Brehm, Marina Vlady, Jacques Brel, Valéry Giscard d’Estaing, Tino Rossi, le dessinateur Raymond Peynet, Noël-Noël et Jean Monnet sur la « Mousse de brochet au coulis d’écrevisses », ils vous répondraient en chœur d’une seule voix : Barrier, » publie L’Écho de Touraine en 1968.
Le chanteur Jacques Brel lui racontait dans son livre « une vie » d’Olivier Todd aux éditions Robert Laffont » : « Il m’est impossible de passer à une centaine de kilomètres de Tours sans faire le détour pour manger chez Charles Barrier ».
Initiateur de la Nouvelle Cuisine, avec son ami Paul Bocuse
À la fin des années 1960, les 12 chefs triplement étoilés au guide MICHELIN de France, amis, et ravis de se retrouver autour d’une table, s’associent pour maîtriser l’image de leur cuisine.
En 1970, La Grande Cuisine Française voit le jour, pour devenir, 3 ans plus tard, La Nouvelle Cuisine sous l’impulsion des deux journalistes Henri Gault et Christian Millau, et de leur guide. Paul Bocuse, président, et son ami Charles Barrier, vice-président, en sont à l’initiative.
Cette Nouvelle Cuisine portera la gastronomie française à son firmament international. Simplicité, raffinement et audace en résument l’esprit, avec la volonté de s’affranchir des codes, sans renier les leçons du passé, ni les savoir-faire appris.
On pourrait parler de Charles Barrier pendant des heures et écrire sur ce chef légendaire des centaines de pages. Nous vous invitons à visiter cette adresse connue de tous les amateurs de gastronomie tourangeaux.
En 2017 la Métropole de Tours rebaptise l’ancien arrêt de tramway « Mi-Côte », situé à quelques mètres du fameux 101 avenue de la Tranchée, en arrêt « Charles Barrier », pour rendre hommage au cuisinier.
Autre clin d’œil, non loin de là : La ville limitrophe de Saint-Cyr-sur- Loire a, pour sa part, baptisé une rue au nom de Charles Barrier.
Le Caméra Club de Touraine
Au début des années 1950, Charles Barrier et Gabriel Arbona fondent le Caméra Club de Touraine. Les cinéphiles de l’époque se retrouvent alors dans la grande écurie située au fond de la cour du restaurant, avenue de la Tranchée. Le succès est immédiat. Parmi les amateurs et fidèles spectateurs, citons le Dr Lecomte et son fils Patrice, futur réalisateur des films « Les Bronzés », « Tandem » ou encore « Ridicule ». Passionné de 7ème art, Charles Barrier, de son côté, va réaliser de nombreux films, couvrant entre autres le passage du Rallye de Monte-Carlo à Tours, La Grande Semaine de Tours 1953 ou encore la sortie du Caméra Club de Touraine, à Montrichard.
Aujourd’hui le 101, avenue de la Tranchée, à Tours, lieu clé dans l’itinéraire de Charles Barrier change de destination, et devient un lieu de mémoire où sa fille Catherine Barrier fait revivre le savoir-faire et les archives de son père qui n’a jamais souhaité quitter sa Touraine natale.
La renaissance d’une adresse
« Au printemps 2023, notre famille a dû repenser la destination du lieu », explique Catherine Barrier, fille du chef étoilé. Avec sa mère Nicole, elles décident de réinvestir cet espace autrement avec la volonté de mettre en avant les archives liées au parcours de Charles Barrier. Notes, textes, recettes, menus, livres, photos, films… tous les souvenirs de Charles Barrier ont été précieusement classés, rangés, hiérarchisés par sa fille Catherine, archiviste de formation.
Un trésor culturel, culinaire et artistique, que le public peut aujourd’hui découvrir sur des plages horaires spécifiques. Exposées dans l’ancien salon d’accueil du restaurant, ces archives retracent le parcours du chef étoilé, de la Touraine au Japon, en passant par Paris et Monaco.
Un patrimoine culinaire, culturel, identitaire
Les 300 m2 de l’ancien restaurant de Charles Barrier, avec son trio de lustres en cristal et sa terrasse, où le chef aimait sculpter des compositions en glace destinées au service en salle, héberge désormais l’équipe de l’agence de conseil et communication fondée par sa fille Catherine en 2016. Une agence ciblée sur les métiers de la gastronomie, les chefs attachés à leur territoire et les institutions impliquées dans la valorisation d’un patrimoine culinaire. « En récupérant les clefs du fief familial courant juillet 2023, j’ai eu la possibilité d’y installer mes bureaux, » commente Catherine Barrier. Le phénix, logo de mon agence, apposé sur la façade, symbolise la renaissance. J’y ai vu un signe fort… »
Quand on aime et respecte la gastronomie comme nous à Chefs & Gastronomie Magazine, la visite du restaurant de Monsieur Barrier ne nous laisse pas indiffèrent. Avec tous les articles, photos et objets en exposition sur les murs et meubles de ce nouveau lieu chargé d’histoire, nous avons passé un moment magique qui nous a fait voyager dans les années de fin du siècle dernier. Nous vous recommandons d’aller visiter ce musée sur les hauteurs de Tours. Un site internet actuellement en construction va bientôt voir le jour ICI.
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Source et visuels © Catherine Barrier. Photos DR et Emmanuel Lupé – Yers Keller – Fonds Charles Barrier.