La Ferrari 250 GTO, dont l’un des trente-six exemplaires a changé de mains dernièrement de gré à gré à plus de 70 millions d’euros, n’est plus la voiture la plus chère du monde. RM Sotheby’s a adjugé 135 millions d’euros l’une des deux Mercedes 300 SLR Coupé produites en 1955. Cette vente aux enchères, qui s’est tenue le 5 mai dernier dans le cadre du musée Mercedes de Stuttgart, est l’épilogue d’un feuilleton qui durait depuis plusieurs mois.
Sous la pression de l’expert et marchand international Simon Kidston, qui œuvrait sans doute pour un collectionneur avisé, le conseil d’administration de Mercedes s’est finalement laissé convaincre de vendre l’une de ses deux 300 SLR Coupé. Il faut dire que ce coupé de course, surnommé «Uhlenhaut» du nom de l’ingénieur de Mercedes qui l’a développé, représente le fantasme absolu. Il dérive d’une lignée mythique qui s’est illustrée aussi bien dans le championnat du monde de Formule 1 que dans les épreuves d’endurance.
Après avoir remporté notamment les 24 Heures du Mans en 1952 avec un coupé 300 SL puis la Carrera Panamericana à la fin de cette même saison, Mercedes décide de revenir à la Formule 1 pour la saison 1954. La firme à l’étoile développe la monoplace W 196, à carrosserie entièrement en aluminium et huit cylindres en ligne de 2,5 litres à injection directe d’essence. Débutant sa carrière au Grand Prix de l’ACF à Reims en juillet 1954, cette monoplace survole les deux saisons 1954 et 1955 et permet à l’Argentin Juan-Manuel Fangio d’empocher deux nouveaux titres. En deux ans, Mercedes n’aura laissé que des miettes à ses adversaires, les W 196 s’adjugeant onze victoires sur quatorze épreuves courues.
À l’orée de la saison 1955, Mercedes décide de doubler ses objectifs, en concourant également pour le championnat du monde des Marques. Sur la base de la W 196, il développe une barquette Sport à partir du châssis tubulaire de la monoplace. La cylindrée du huit cylindres en ligne est portée à 3 litres, toujours avec l’injection directe et les soupapes à commandes extérieures. En plus des barquettes 300 SLR, l’ingénieur Rudolf Uhlenhaut en charge des études avancées de Daimler-Benz et du programme des voitures de course développa deux coupés 300 SLR à portes papillon pour les épreuves de longue distance, en dépit du refus des pilotes de l’écurie de les conduire.
L’accès malaisé, le niveau sonore et la température régnant dans le petit habitacle ne militaient pas en faveur de ces coupés 300 SLR. S’ils participèrent à quelques séances d’entraînement, notamment à l’occasion du grand prix de Suède 1955, ces coupés ne prirent jamais le départ d‘une compétition mais furent utilisés par Uhlenhaut comme voiture de service. Dans les archives de la marque allemande, on trouve même des photos où l’ingénieur emmène son fils. Les deux châssis produits «0007/55» et «0008/55» diffèrent uniquement par la couleur de la sellerie intérieure, l’une est rouge avec des sièges en tartan, l’autre bleu.
À la fin de la saison 1955, en signe de deuil et par respect pour les victimes de l’accident du Mans 1955, Mercedes se retira de toute compétition sportive. Le constructeur ne devait réapparaître officiellement que dans les années 1980 avec les sport-prototypes conçus par Sauber. Les monoplaces W 196 et les barquettes 300 SLR, auréolées de six victoires dont les Mille Miglia sur sept participations, rejoignirent le musée. Quant aux coupés SLR, ils roulèrent encore quelques mois avant d’être remisés dans les réserves du musée Mercedes. Depuis, ces coupés sortent régulièrement pour des manifestations.
Pensée et conçue pour les compétitions qu’elle n’a jamais pratiquées, sœur de voitures championnes du monde, la 300 SLR Uhlenhaut alimente tous les fantasmes. À ce destin hors-norme, il faut ajouter une insolente beauté, mélange de brutalité et de félinité, et des performances hors du commun. L’Anglais Gordon Wilkins, le seul journaliste à avoir essayé la bête, l’avait chronométré à 288 km/h. C’est ainsi que la 300 SLR Coupé «Uhlenhaut» possède tous les critères pour faire flamber les enchères.
Source et photos © Mercedes & RM Sotheby’s.