Par Emmanuel Lupé – Rédacteur en chef – 1ere partie.
En route vers mon premier rendez-vous avec l’un des plus grands chefs français, je découvre les très pittoresques chalets construits sur la route du Leutaz qui mène à l’hôtel Relais & Châteaux 5* Flocons de Sel.
Situé à une dizaine de minutes du centre du village de Megève au milieu des montagnes, l’hôtel-restaurant d’Emmanuel et Kristine Renaut est une victoire de la simplicité. Le chef m’a donné rendez-vous à 18H00 au restaurant gastronomique, l’un des 30 restaurants triplement étoilés par le guide Michelin France en 2021.
La jeunesse d’Emmanuel Renaut
C’est entre vignes rémoises et montagnes savoyardes qu’Emmanuel Renaut fait ses premiers pas. Aux côtés de ses grands-parents, agriculteurs et poissonniers, il découvre le travail de la terre et les richesses de la mer. À chaque période de vacances scolaires, la Haute-Savoie est une destination incontournable. Ici, la nature est une invitation à la découverte. L’aventure et la liberté sont autant de valeurs qui vont forger le tempérament du jeune prodige.
À skis l’hiver, en trial l’été, Emmanuel devient rapidement un sportif de haut niveau qui aime autant se ressourcer seul dans la nature que les grandes tablées entre amis. Meneur, il s’affaire en cuisine et esquisse sans le savoir les contours d’une aventure passionnante. À l’heure des grands choix d’orientation, Emmanuel s’inscrit naturellement dans des études de cuisine.
Le chef Emmanuel Renaut entame sa carrière aux Ambassadeurs (Hôtel de Crillon), époque bénie où Constant, Camdeborde, Frechon et Rouquette s’agitaient ensemble aux fourneaux. Il rejoint ensuite Marc Veyrat à l’Auberge de l’Éridan, qu’il seconde en cuisine durant un septennat.
La rencontre avec le chef triplement étoilé
Le chef m’attend et m’accueille très chaleureusement dans sa cuisine. Le restaurant est bien évidemment fermé mais pas l’hôtel 5* qui affiche complet en période de vacances scolaires. La cuisine est ouverte et compte une demi-douzaine de personnes qui s’affairent déjà à préparer les plats du soir qui seront servis à partir de 19H00 dans les 10 chambres et chalets de l’hôtel.
Le chef qui a lui aussi un œil sur chaque plat qui mijote, me demande de m’asseoir à sa table qui en fait est un peu son bureau la journée. Derrière lui, une collection impressionnante de guides Michelin.
Je vois derrière vous cette incroyable collection de Guide Michelin. En tant que chef triplement étoilé, quel est votre relation avec le guide rouge ?
« Ma relation avec le Guide Michelin, c’est la relation de tous les chefs quand on commence la cuisine. On est né avec le Michelin. Tout chef cuisinier, en tout cas en France, est né avec le Guide Michelin et puis c’est la bible des chefs. Tout le monde rêve un jour d’être inscrit dans le guide Michelin. Quand vous décrochez votre première étoile, votre deuxième étoile, votre troisième étoile, c’est juste des moments assez magiques et inoubliables et puis évidemment des moments de partage. Le Michelin ce n’est pas personnel. C’est la récompense du travail des équipes, c’est le travail de tous les jours, de la remise en question, c’est l’excellence à la française. Maintenant il y a un guide Michelin dans presque tous les grands pays de la planète mais à l’origine c’était l’excellence à la française et puis une institution qui est respectée et qui allie aujourd’hui la tradition et l’innovation. »
Pensez-vous que le guide a toujours sa place dans la gastronomie ?
« Bien sûr que le guide Michelin a toujours sa place. Il ne faut surtout pas éteindre cette flamme et il faut continuer de faire rêver les jeunes. Je me souviens que moi, jeune cuisinier gamin, je rêvais des grands chefs, Joël Robuchon et Paul Bocusse, de chefs magnifiques. C’est très important de faire rêver les jeunes et de créer des vocations. C’est un peu notre travail aussi en tant que chef étoilé. »
Michelin a récemment annoncé son nouveau palmarès pour le guide Michelin France 2021. Pensez-vous que c’était une bonne chose et qu’ils ont eu raison de le faire malgré la crise que l’on traverse actuellement ?
« Je pense que c’était bien d’envoyer le message que la gastronomie n’est pas terminée. On subit tous cette pandémie. C’était bien qu’il y ait un guide 2021 pour montrer que la cuisine ne s’arrête pas. La preuve, alors c’est certain on ne fait pas le travail que l’on fait habituellement, mais on continue à travailler différemment pour survivre, alors oui, c’était bien qu’il y ait un palmarès et de mettre en avant une cuisine atypique et magnifique comme celle d’Alexandre Mazzia. »
Entre deux réponses le chef surveille ses équipes, côté cuisine mais aussi côté service, car ce dernier va bientôt démarrer. Le chef lui-même prend soin d’appeler toutes les huit chambres et suites ainsi que les chalets pour s’entretenir avec chaque client VVIP afin de savoir ce qu’ils veulent manger et boire. Le chef veut s’assurer que ses clients ne mangent pas la même chose deux soirs de suite.
Quelle est votre position sur la gestion de la crise actuelle par le gouvernement et le fait que les restaurants sont encore fermés ?
« Je pense que l’on n’a pas le choix. Je n’ai pas l’impression que quelqu’un a une boule de cristal pour savoir comment les choses vont tourner. Je pense que quand la crise est arrivée on ne s’imaginait pas l’ampleur que cela allait avoir. On vit tous au jour le jour. Les décisionnaires, je ne voudrais pas être à leur place car je pense que ce doit être un véritable casse-tête pour eux comme pour nous. Malgré tout on reçoit un petit peu d’aides et on arrive quand même à survivre. Après il faudra passer cette crise. J’ai un avis assez mitigé sur l’avenir, en tout cas je suis optimiste, je me dis qu’il faut continuer à faire l’excellence, à continuer dans notre démarche. Je pense que cela permettra de peut-être recentrer un peu nos activités. On va peut-être prêter attention à notre « sourcing » et toutes autres choses. La pandémie cela va bientôt faire un an qu’elle est là, et il va falloir qu’on s’en serve intelligemment pour pouvoir rebondir et être meilleur après. »
Fin de la première partie de l’interview. Lire la deuxième partie ici.
Photos © fournies gracieusement par Flocons de Sel et par l’Office du tourisme de Megève.