Chefs & Bolides a récemment visité le Château Carbonnieux et rencontré les membres de la famille Perrin aux commandes du légendaire Château depuis 1956.
Le Château Carbonnieux est l’un des plus anciens et plus vastes domaines viticoles de la région de Bordeaux. Son histoire s’étend sur presque huit siècles et son vignoble sur une centaine d’hectares. Ce vignoble, familial depuis quatre générations, encercle le château au sommet d’une superbe croupe de graves. Grand Cru Classé en Pessac-Léognan, Château Carbonnieux est à la fois classé en blanc et en rouge.
Si la renommée mondiale des vins de Carbonnieux s’établit dès 1740 sous l’impulsion visionnaire du moine Dom Galéas, c’est au Moyen Âge, au XIIIème siècle, qu’il faut remonter pour retrouver les racines du vignoble, prouvant que les hommes ont su identifier et mettre en valeur de manière très précoce les meilleurs terroirs viticoles.
Il est aujourd’hui acquis que le vignoble primitif de Bordeaux est né aux portes de la ville, au pied des abbayes Sainte-Croix et Saint-Seurin, et par la suite s’est développé vers le sud. Le vignoble de Carbonnieux est l’un des premiers nés, son histoire peut commencer…
Le passage de Thomas Jefferson, ambassadeur des États-Unis en France
A la veille de la Révolution, en 1787, Thomas Jefferson, humaniste passionné d’agriculture, grand amateur de vin et futur troisième président des États-Unis d’Amérique, parcourant la région, se rend en personne à Carbonnieux pour déguster ce « Vin des Odalisques » et note dans son carnet de voyage que les vins blancs « ceux produits dans la région des graves sont les plus appréciés à Bordeaux.
Les meilleurs crus sont : Pontac (Haut-Brion actuellement),… Sainte-Brise… De Carbonius qui appartient à des moines bénédictins…». Le célèbre rédacteur de la Déclaration d’Indépendance des futurs États Unis d’Amérique marque son passage en plantant un noyer d’Amérique, le pacanier (arbre à noix de pécan) dans le parc du château, considéré aujourd’hui comme le plus ancien pacanier sur le sol français. Cet arbre debout depuis plus de 2 siècles trônait jusqu’en septembre 2022 de sa majestueuse stature de près de 35 mètres, au-dessus de la cour intérieure. Les premières tempêtes d’automne l’ont brisé et il reste à ce jour plus que le tronc et une branche. Fort heureusement, ce pacanier a su engendrer sa descendance dont certains arbres sont déjà centenaires !
Une tradition familiale perpétuée
Au début des années cinquante, le vignoble était peu entretenu, et clairsemé ; les bâtiments, inhabités depuis la première guerre mondiale et l’infrastructure de production reflétaient le dénuement de l’ensemble. A cette époque, le vin se vendait mal, l’accès au marché intérieur était étroit et les circuits des marchés internationaux n’étaient pas encore vraiment tracés, mais la famille Perrin, viticulteurs depuis plusieurs générations, décèle très rapidement le potentiel de ce domaine délaissé. C’est dans ces conditions qu’en 1956, la famille Perrin se porte acquéreur du Château Carbonnieux.
La famille Perrin, viticulteurs de père en fils depuis deux siècles
Au début du XIXème siècle, les Perrin sont installés du côté de Mâcon, en Bourgogne, où ils exploitent un domaine viticole depuis plusieurs générations. En 1840, le cours de l’histoire familiale amorce un tournant capital. Fondé de pouvoir de Lamartine (poète et homme politique), Philibert Perrin (1821-1901) est envoyé par ce dernier en Algérie, en vue d’acquérir des terres dans ce pays récemment colonisé. Suite au revers de fortune de l’écrivain, Philibert décide de créer un vignoble à son compte dans le nord du pays, en Oranais. Son fils, Antony (1860-1912), major de l’institut agronomique de Montpellier et viticulteur de talent, donnera un élan considérable au domaine familial qu’il portera à 250 hectares. Il participera aussi de façon très active à l’essor du vignoble algérien. La montée en puissance de ce dernier, favorisée par la crise du phylloxéra qui sévit alors en France, connaîtra, d’ailleurs, son apogée pendant la première guerre mondiale. Antony Perrin meurt prématurément en 1912, laissant à ses fils, dont Marc (1905-1982), la direction d’une propriété viticole à la réputation enviée.
À partir de 1956 se dessinent les prémices du mouvement qui aboutira à l’indépendance de l’Algérie. Un mouvement de repli s’amorce ; les activités se diversifient et les capitaux tendent à réintégrer la métropole. En sillonnant le vignoble bordelais en quête d’une propriété viticole en février de cette même année par une température de -20°C, Marc Perrin visite une propriété emblématique de la région des graves, Château Carbonnieux, nouvellement classé, d’une surface de 160 ha dont 40 ha de vignes. Immédiatement séduit par son architecture unique et son terroir apte à donner naissance aux plus grands vins, Marc Perrin acquiert ce domaine situé aux portes de Bordeaux. Il rachète également le Château Latour Léognan qui deviendra très rapidement le second vin de la propriété. Avec l’aide de son jeune fils, Antony (1940-2008), il entame alors un long travail de réhabilitation et de replantation qu’il poursuivra sans relâche jusqu’à sa disparition, en 1982.
Un nouvel élan pour Carbonnieux…
Le froid intense qui sévit à Bordeaux durant l’hiver 1956 porta un coup fatal au vignoble résiduel de Carbonnieux. Les nouveaux propriétaires forgèrent alors le dessein de le reconstituer dans sa configuration telle qu’elle apparaissait au XVIIIème siècle, à l’époque des moines bénédictins de l’abbaye Sainte-Croix. Le plan de replantation prit effet en 1957 et le rythme s’accéléra à partir de 1962.
Les débuts de l’exploitation s’avérèrent complexes et Antony Perrin avoua qu’à maintes reprises son père fut tenté de baisser les bras avec des millésimes peu porteurs, sur fond de marché saturé. L’éclaircie se produit au début des années 1970, avec en toile de fond, la lente restructuration de l’économie nationale et de la consommation. À partir de 1980, les revenus du vignoble parvenu à maturité permettent d’entrer dans une phase d’investissements. La décennie qui s’ensuit verra la modernisation des outils de production adaptée à la nouvelle taille du vignoble et aux exigences les plus élevées des nouveaux propriétaires.
L’empreinte d’Antony Perrin
Antony Perrin poursuit l’œuvre de replantation du vignoble en œuvrant à l’amélioration qualitative des vins. Pour preuve, il renoue avec le principe de la fermentation des vins blancs en barriques. En constante collaboration avec la faculté d’œnologie de Bordeaux, les améliorations techniques qu’il apporte vont petit à petit faire évoluer tous les secteurs, de la plantation des jeunes pieds jusqu’à la mise en bouteille. Peu à peu, les superficies viticoles augmentent, passant de 45ha en 1970 à 100 ha aujourd’hui. Formidable visionnaire, il redonne vie également au Château Le Sartre et au Château Bois Martin, propriétés viticoles disparues après la première guerre mondiale.
Antony Perrin porte un soin particulier aux vinifications en construisant un nouveau cuvier en 1990. Au cours des années suivantes, il met en application les prémices de l’œnologie moderne sur les conseils du Pr Denis Dubourdieu : embauche d’un œnologue, achat de pressoirs pneumatiques, contrôle de turbidité et des températures, fermentation des blancs en barrique à température contrôlée… Président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, président des Crus Classés de Graves mais aussi l’un des créateurs et promoteurs de l’Appellation Pessac-Léognan il contribuera sans cesse au rayonnement des vins de Bordeaux à l’international.
L’avenir…
En 1987 Éric rejoint l’aventure familiale suivi par son frère Philibert en 1993. Parallèlement à leur implication sur le domaine familial, Éric et Philibert remettent en exploitation les vignobles du Château Haut-Vigneau et Château Lafont Menaut. Ils s’impliqueront dans les associations collectives et présideront à leurs tours les Crus Classés de Graves et le Syndicat viticole de Pessac-Léognan. En 2008 après la disparition d’Antony, Christine sa fille, intègre le Château Carbonnieux pour notamment numériser l’image de la propriété, développer l’œnotourisme et les Arts. Tous les trois reprennent le flambeau avec pour mission de sublimer l’héritage du terroir de Carbonnieux et perdurer la même quête d’excellence au service des vins du domaine.
Aujourd’hui, la quatrième génération de la famille Perrin entre dans l’histoire de la propriété avec l’arrivée en 2017 de Marc, responsable commercial et d’Andréa, œnologue responsable de la politique environnementale, de la recherche et du développement en 2019. Tous deux ont pour mission à la fois de préserver l’héritage ancestral de ce cru emblématique mais aussi de l’adapter aux évolutions écologiques et climatiques pour porter au firmament la qualité des raisins et des vins de Carbonnieux et préserver le style et l’identité si unique des vins de la propriété.
Retrouver un peu d’histoire du Château Carbonnieux en regardant l’émission Grands Crus et Sommeliers consacrée à Éric Perrin qui nous présente cet incroyable domaine.
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Source et visuels © Château Carbonnieux et Emmanuel Lupé.