A quelques jours de l’annonce des nouveaux restaurants étoilés dans le Guide Michelin France, un des restaurants qui pourrait faire son entrée dans la liste prestigieuse 2024 est Chakaiseki Akiyoshi du chef japonais Yuichiro Akiyoshi installé au 59 rue Letellier dans le quinzième arrondissement de Paris.
Né en 1984 à Iizuka, dans la préfecture de Fukuoka dans l’île de Kyushu au Japon, Yuichiro Akiyoshi s’est formé pendant dix ans au restaurant Hyotei à Kyoto. Ce haut lieu du chakaiseki, fondé il y a 400 ans, est une institution récompensée de trois étoiles par le Guide Michelin. Puis il fut nommé chef des cuisines de la résidence parisienne de M. l’Ambassadeur du Japon à l’OCDE, où il a officié pendant trois ans.
De retour au Japon, il cumule les expériences dans des restaurants japonais et, pendant le confinement, ouvre trois établissements de ramen « Meikyoshisui » à Fukuoka. De retour en France avec son épouse Misuzu, Yuichiro ouvre Chakaiseki Akiyoshi en janvier 2023, le premier restaurant de chakaiseki en Europe.
Une expérience exceptionnelle !
Le thé est profondément ancré dans la culture et la gastronomie du Japon. Au commencement, il n’était que prétexte pour se désaltérer tout en se réchauffant les mains, se réunir, bavarder et échanger. Avec le temps, il évolua en un art à part entière, émerveillant les invités par des objets soigneusement choisis par l’hôte, revêtant une pensée spirituelle et un art de vivre tout à la fois, l’une et l’autre n’étant jamais bien éloignés dans la culture japonaise.
Trouvant ses origines dans le bouddhisme zen et pratiquée depuis le XVIe siècle, d’abord par l’aristocratie, puis par un public plus large, la cha-no-yu ou « la voie du thé » que l’on appelle communément « cérémonie du thé » en Occident, est l’exemple le plus marquant de cette philosophie de vie. Le wabi (humilité, simplicité, modestie) et le sabi (vieillesse, décrépitude, altération par le temps) en sont la base de pensée. Le service d’un bol rustique de thé matcha en est l’expression et une invitation à contempler le caractère éphémère du monde.
Comment la cuisine s’est-elle introduite dans la pratique du thé ? En buvant ce thé matcha très stimulant, les moines bouddhistes s’aperçurent qu’il était un peu fort sur un ventre vide. Progressivement, ils se mirent à l’accompagner de mets simples et légers, à déguster avant la pratique du thé afin de protéger l’estomac.
Au fil du temps, le parcours gustatif, salé et sucré, dont l’apothéose est le thé, s’installa dans la culture japonaise. On l’appella chakaiseki. Cha pour « thé » et kaiseki qui désigne un type de cuisine kyotoïte raffinée et gastronomique.
Le restaurant Chakaiseki Akiyoshi est l’unique endroit en France où vivre cette expérience. Son chef Yuichiro Akiyoshi a officié pendant dix ans chez Hyotei – restaurant triplement étoilé de chakaiseki à Kyoto où tous les cuisiniers sont dotés d’une parfaite maîtrise de l’art du thé. Lorsque Yuichiro chercha où ouvrir son premier restaurant, il se décida pour Paris, la capitale de la gastronomie, avec le souhait de faire découvrir cet art du thé et de la cuisine kaiseki aux Français.
Histoire du kaiseki et du chakaiseki
À l’origine, le kaiseki n’était pas une cuisine gastronomique. Son histoire est longue. Bien qu’il soit mentionné dans les écrits de l’époque de Muromachi (1336-1573), sa forme actuelle lui aurait été donnée par le moine bouddhiste et maître de thé Sen-no-Rikyu à l’ère d’Azuchi-Momoyama (1573-1603). Il fut définitivement formalisé vers la fin de l‘époque d’Edo (1603-1867). Le régime des moines bouddhistes est totalement végétalien. Autrefois, il leur était même interdit de manger avant midi. Alors, pour tromper la faim, l’on raconte qu’ils mettaient une grosse pierre là où le kimono monastique forme une sorte de poche, au-dessus de l’estomac. Ainsi naquit le mot kaiseki qui signifie littéralement « pierre sur le ventre ». Pendant l’hiver, cette pierre était chauffée et enveloppée dans un linge…
Petit à petit, la « pierre » est remplacée par des mets simples, toujours végétaux. Progressivement, la gastronomie kyotoïte adopta l’appellation kaiseki pour désigner des repas composés d’une multitude de petits plats, comportant légumes et poissons, servis dans un ordre précis, qui se clôturaient par la dégustation d’un matcha classique ou un koïcha « thé épais ». Le repas sobre et léger qui ne servait qu’à protéger le ventre des moines devint la haute gastronomie de la cour impériale, élaborée, élégante et gourmande.
Le déroulé du chakaiseki
Il n’est jamais inutile de rappeler qu’un repas chakaiseki est à la fois une cérémonie et un moment de partage, servi à tous les convives en même temps. Le repas ne commencera pas sans que chacun soit assis à sa place. Traditionnellement, tout retard représente ainsi une grossière impolitesse non seulement envers l’hôte mais aussi vis-à-vis des autres convives…
La dégustation débutera par une tasse d’eau chaude, dans laquelle sera infusé un bourgeon de shiso ou une graine de riz soufflé. Il s’agit de la toute première étape du chakaiseki que l’on appelle kumidashi.
On pourrait le traduire de manière simplifiée par « la louche de départ ». Cette eau au parfum délicat réveille les cinq sens et purifie le palais, l’ouvrant aux merveilles à venir. Elle sera suivie du plateau oshiki sur lequel sont posés deux bols laqués couverts.
Soulevez chaque couvercle et vous trouverez à gauche le riz parfaitement blanc, à droite, une soupe miso. Au centre, un petit plat mukô-zuké qui signifie la « coupelle d’en face », généralement orné de tranches de poisson cru, agrémentées d’un condiment léger. Il est d’usage de commencer par porter quelques grains de riz en bouche, puis une gorgée de soupe miso, avant de savourer le poisson.
Ce premier riz est d’une importance suprême. Nature, il n’est jamais assaisonné ni garni.
Le miso de la soupe est soigneusement choisi par le chef. L’été, il sera rouge et plutôt salé. L’hiver, il sera blanc, très doux, utilisé seul, sa sucrosité naturelle se plaisant dans l’eau chaude sans aucun autre assaisonnement. En mi-saison, il pourrait être un mélange des deux couleurs, dilué dans du dashi.
Puis viendra le nimono-wan ou « bol de mets mijotés ». Lorsque l’on parle de « mijoter » en japonais, il ne s’agit pas d’une cuisson de plusieurs heures. Les composants du bol sont simplement blanchis ou cuits courtement dans un liquide, afin de conserver à chacun sa saveur propre. Pour le chef Akiyoshi, c’est le plat le plus complexe du menu. La saisonnalité est de mise, sachant que dans la cuisine japonaise il y a 24 saisons. La température du bol doit refléter celle du monde extérieur. Plus frais en été, plus chaud en hiver, il sera servi dans un bouillon limpide, ni glacé ni bouillant.
Suivront le yaki-mono ou « mets grillé » ; le taki-awasé « mijoté et réuni », un plat de légumes mijotés séparément et dressés ensemble dans un bol ; enfin, le wa-mono ou « mets japonais », des légumes ou des fruits de mer marinés et servis froids.
Le moment fort du repas est sans doute le shiizakana ou « mets qui accompagne le saké ». Chez Akiyoshi, il s’agit d’un bôzushi, « sushi bâton » de maquereau de Norvège, gras et dodu. Le chef le saisit au charbon binchôtan pour lui donner un parfum fumé et boisé avant de l’envelopper dans une feuille d’algue nori croustillante.
La fin du voyage s’annonce avec le hashi-arai, littéralement « laver les baguettes ». Selon l’humeur du chef, on y verra une soupe de nouilles soba (fines nouilles au sarrasin) ou d’udon (nouilles plus épaisses de blé blanc), ou encore, une soupe de riz agrémentée de légumes fermentés et salés.
Le thé
La tradition voudrait que l’hôte propose aux convives de changer de salle pour rejoindre celle dédiée à la cérémonie du thé. Chez Chakaiseki Akiyoshi, le chef se déplace pour faire face à la chagama, une imposante bouilloire en fer.
À ce moment, un gong surprendra les convives et leur imposera un silence respectueux. Il sonne la transition entre le temps du repas et celui du thé, plus méditatif. Le chef s’apprête à préparer l’o-usu ou « thé dilué » qui est le thé matcha le plus commun.
Chaque geste et chaque objet de la « cérémonie » a un sens. L’instant où le chef regarde la louche en bambou qui puise l’eau dans la bouilloire est, en réalité, une contemplation de son âme. Le bol à matcha est souvent une pièce de musée, un objet d’art qu’il convient de tenir précieusement dans la paume des deux mains, puis en admirer le motif peint ou formé naturellement par la matière, aidée par la main de l’artisan.
Pendant la préparation du matcha, le dessert est servi. Il s’agit d’un omo-gashi « gâteau principal ».
Généralement à base de haricots rouges azuki ou blancs, celui-ci est confectionné par l’artisan wagashi Manabu Shiraishi. Si l’amplitude des saveurs est relativement limitée comparée aux variétés de la pâtisserie française, l’omo-gashi se caractérise par l’expression poétique de la saison, représentant presque littéralement les fleurs du printemps, les feuilles rougies par l’automne, la blancheur de la neige. Ainsi, vous trouverez le sakura, la fleur de cerisier, elle-même symbole du monde flottant au printemps ; le mizu-yôkan, une pâte d’azuki gélifiée dans l’agar-agar pour une fraîcheur à donner des frissons en été. À l’automne, le kuri-kinton est une sorte de crème de marron japonaise aux saveurs sobres et douces en forme de châtaigne ; en hiver, le yuki-mochi, littéralement « mochi de neige », à base d’igname japonaise et cuit à la vapeur.
Les gouttes des dieux
Le thé n’est pas la seule boisson du chakaiseki. Le saké est dédié aux dieux du shintoïsme qui est la religion native du Japon. Il est proposé avant le premier plat mukô-zuké et accompagne aussi le shii-zakana. Le chef Akiyoshi a sélectionné plus de 80 références de saké des quatre coins du Japon. La carte des vins de Chakaiseki Akiyoshi se compose aussi de plus de 200 références, toutes sélectionnées par le chef.
Une cuisine authentique japonaise, faite de produits du terroir français
La saisonnalité est au cœur des préoccupations de Yuichiro, dont la majorité des plats sont composés de végétaux. Depuis l’ouverture, deux maraîchers japonais lui fournissent des légumes : Asafumi Yamashita, installé à Chapet au cœur de Yvelines, et Anna Shoji, implantée dans les Pays de la Loire.
Les produits de la mer viennent majoritairement de Bretagne ou de Normandie : bar, barbue, homard, langoustine, ormeau, coquille Saint-Jacques… Fin connaisseur du poisson japonais, Yuichiro lui trouve une particularité en France : sa chair est moins ferme, mais sa saveur plus intense. Cela le pousse parfois à des découpes plus épaisses et à essayer différentes préparations : juste salé pour dégorger l’eau, en kobujimé pour retirer l’excédent d’eau du poisson tout en lui conférant l’umami du kombu, ou encore en légère marinade de sauce soja et bouillon dashi.
Chakaiseki Akiyoshi 59 rue Letellier, 75015 Paris. Pour en savoir plus et réserver cliquez ICI.
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Source DP et visuels © Chakaiseki Akiyoshi : Justin De Souza / Taisuke Yoshida / Nobu Hidetaka